25 ans d'Asie ce n'est pas un diplôme !
Cela s’est passé la veille de Noël et j’en souris encore aujourd’hui. Quelles sont les chances – dans une petite ville bretonne – de rencontrer une jeune-femme Indonésienne, de l’île de Sumatra, des bords du lac Toba… et plus précisément de l’ethnie Batak Toba ? None.
Dans sa petite "cabane de marché de noël", des milliers de personnes des Côtes d’Armor se sont probablement arrêtées sur ces sacs tissés ou brodés et aux couleurs vives, en ont peut-être acheté un pour en faire un cadeau - si exotique – comme le sourire de la marchande en qui ils n’ont vu qu’une asiatique.
Je l’ai remarquée moi aussi et je l’ai abordée en thaï. Une question à laquelle elle me répondit en indonésien (en fait, en mélangeant les langues) « Mai shai khon thaï » (je ne suis pas thaï) « Saya orang Indonesia » (je suis indonésienne).
- Dari mana (d’où) ? je demandais. « De Sumatra, Toba, je suis Batak ».
Là-dessus, le mari qui était à l’écart, intervient. J’ai rencontré pas mal de types dans son genre en voyage depuis les années 70. Le mec ébloui par l’Asie ne pouvant se résoudre à retourner en Europe pour bosser normalement. Alors solution intermédiaire : faire le commerce de bibelots, colifichets appelé artisanat. De l’exotisme plutôt bon marché, non pas vendu en magasin (charges trop lourdes) mais sur les marchés.
Le mari de la jolie Batak a une petite soixantaine, visage buriné de marin qu’il n’est pas, chevelure frisée qui n’a pas connu le peigne ou la brosse depuis 25 ans, le nombre d’années qu’il dit voyager en Asie.
Il m’aborde, et au lieu de me demander – selon la tradition et la politesse – « Dari mana » ? (D’où viens-tu), il me demande « Ke mana » ? (Où tu vas ?). « Paris » fait donc l’affaire.
Son ton est plutôt déplaisant. Que je connaisse Sumatra, Toba et les Batak a plutôt l’air de le « défriser ». Alors il tente de me mettre à l’épreuve. Et me balance des banalités lourdes et simplistes :
« la Malaisie, ce pays est foutu ». Visiblement il cherche à me prendre en défaut. Plutôt marrant. Je suis souriante, toujours sous le charme de cette rencontre inattendue, mais il ne l’entend pas de cette oreille. A mon admiration pour le peuple Batak, il me rétorque :
« un peuple d’arriérés qui regarde toujours en arrière » ! Puis il s’attaque à la Birmanie :
« Aung Sang Suu Kyi, une bonne à rien » ! Puis la Thaïlande :
« les militaires font du bon travail, ils permettent au pays de maintenir ses traditions ».
"Ah bon ! La junte, vous trouvez ça bien, moi, j’ai quitté ce pays car je ne pouvais plus y parler ou y écrire librement ».
« Grâce à eux, l’Islam ne passera pas en Thaïlande. Merci à la junte ».
« Je n’aime pas l’armée » je lui réponds « et je doute qu’elle contienne l’Islam, des mosquées s’installent partout dans le nord et les montagnes où il y a de plus en plus de femmes thaïes entièrement voilées » Il martèle, têtu ;
« je sais, j’ai 25 ans d’Asie »
25 ans d’Asie ce n’est pas un diplôme ! et si les voyages forment la jeunesse, certains sont imperméables. J’essaie de modérer mes propos, rien n’est complètement blanc ou noir : « Les choses sont beaucoup plus complexes. D’ailleurs mon compagnon Thaï était dans l’armée, vous voyez que rien n’est simple ».
Le type me lance alors un regard haineux (sous les yeux de ma belle-fille, médecin, ébahie) : « On ne peut pas discuter avec des gens comme vous ! »
Je ne sais pas trop ce que veut dire « des gens comme vous » !
Ça a failli être une belle rencontre, dommage pour la jolie Batak qui n’a pas pu glisser un mot…
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