Exposition immatérielle ou art immatériel
J’ai une particularité, ou un défaut, j’ai « l’esprit de contradiction » ou plus exactement le désir absolu d’être surprise. Lorsque sont passés à toutes les émissions tv ou radio, les comédiens du moment, venus parler en long et en large de leur film, sujet disséqué, raison du choix, remerciements au réalisateur, extraits de l’œuvre… eh bien je n’ai plus en vie de voir l’oeuvre en question, j’ai déjà l’impression de l’avoir vue. C’est ainsi que j’ai vu dernièrement un documentaire dont je n’avais pas entendu parler, réalisé par un Chinois, sur l’ethnie Ta’ang vivant en territoire Kachin en Birmanie, près de la frontière chinoise. Ce documentaire montrant sans fioriture et sans mise en scène la réalité de réfugiés (femmes et enfants, les hommes se battant pour garder leur village en guerre contre l’armée birmane). Calée dans mon fauteuil, j’en prends plein le cœur et les tripes. Qui s’intéresse à la Birmanie, aux ethnies Kachin et sous-groupe Ta-ang et leur lutte pour leur l’autonomie ? (Tout comme les Rohynghias d’ailleurs victimes d’un génocide)
Alors, hier, sur un coup de tête, et juste après avoir lu quelque part , « exposition immatérielle de Tino Sehgal », je file sans idée préconçue au Palais de Tokyo.
Je traverse un large rideau de perles blanches et me trouve face à une jeune-femme qui me demande « Qu’est-ce qu’une énigme ? » Prise de court je réponds sans réfléchir « La Thaïlande ». La jeune-femme exécute alors quelques mouvements d’une danse étrange et avec un sourire énigmatique me dit « alors c’est par là ».
Une gamine de 10 ans vient vers moi. « Je m’appelle Tal. C’est quoi le progrès ? » Je lui montre mon Smartphone. « C’est positif le progrès ? » Je lui réponds qu’il y a du positif et du négatif dans tout progrès, ce qu’elle ne semble pas vraiment apprécier.
Aussitôt une autre femme prend la relève. Entre-temps, j’observe mon environnement : une sorte d’usine désaffectée. Vide de vide. Des espaces soutenus par des colonnes, quelques ouvertures sur d’autres espaces tout aussi vides. Et puis un groupe de personnes qui se déplacement lentement, et qui tournent en rond : de vrais zombies.
Une autre femme vient vers moi qui remplace la précédente et ainsi de suite. Conversation interrompue à peine ébauchée. L’idée du modernisme sans doute. Je joue le jeu. Une autre me dit « Je suis née en 1981 l’année de Mitterrand ». Je réponds « j’ai voté pour lui. » « Alors ? » « Déçue c’est l’unique fois où j’ai voté socialiste. » La fille se débine.
Je reste les pieds sur terre, pas prête du tout à m’ésbaudire devant ce concept conceptuel ultra tendance. Ce serait comme trouver géniales les tulipes géantes de Jeff Koon.
Autour de moi, des adultes se mettent à courir et à jouer à cache cache dans cet endroit où l’on est censé se sentir libre de faire tout ce dont nous avons envie, car nous serions les propres personnages de cette création immatérielle.
Je passe ainsi entre les mains de différentes personnes qui interrogent, puis s’éclipsent au beau milieu d’une phrase. La dernière fois, la fille disparaît derrière une colonne et je me retrouve nez à nez avec une autre personne à qui je dis « bon, je continue ma phrase ou on en reprend une nouvelle ? » Je reprends donc. Je parlais de ma fille adoptée en Thaîlande. La dame me dit « moi aussi j’ai adopté ma fille en Thaïlande ». Enfin du concret, fini le conceptuel. Elle me montre la photo de sa fille de 19 ans, originaire de Songkhla dans le sud du pays. Et puis elle me plante à nouveau dans cet étrange ghetto de l’absurde.
Alors j’ai retraversé le rideau de perles pour me trouver nez à nez avec deux hommes. « C’est où l’exposition je leur demande ». Ils m’indiquent l’autre côté du rideau. « J’en reviens, il n’y a pas d’exposition ». « Mais si ». « Je n’ai rien vu » je dis en jouant les idiotes. « Alors vous n’avez rien compris » lâchent-il avec un air de mépris.
Je me renseigne mieux, il s’agit d’un vaste projet – qui a dû coûter une fortune - réalisé par Tino Sehgal à qui on doit cette exposition immatérielle. On a donné carte blanche à cet agitateur d’émotions, ce trublion de l’art con de l’art content de l’art contemporain.
N’ai-je pas dit que j’aimais les surprises !
J'ai noirci les visages exprès
Une entrée qui ressemble à un miroir dans lequel on ne se voit pas
Dehors, c'était moins conceptuel, moins immatériel
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