Deuil imposé ou deuil auto imposé ?
« Tout tyran reste au pouvoir tout le temps que ses sujets lui accordent sa légitimité » (La Boétie)
En Thaïlande, depuis la mort du révéré Bumiphol, demi-dieu de son vivant que la junte va probablement « bouddhaïser » - après tout nous avons bien nos saints en occident – alors pourquoi pas un bouddha borgne (je rappelle que le roi a perdu un œil au cours d’un accident de voiture de sport lorsqu’il était jeune).
La Thaïlande est en deuil. Un deuil qui va durer au moins une année, ainsi en a décidé la junte.
Deuil imposé ou deuil auto imposé ?
Dans un pays qui, depuis des décennies, vit sous la joute de militaires (Bumiphol a connu 19 coups d’état réussis ou pas, pendant son règne), dans un pays où le bonheur est de rigueur, imposé par Prayuth à coups de slogans, de chansons composées par lui, l’asservissement est de rigueur. Une seconde nature.
Dès l’enfance, les petits Thaïlandais sont soumis à l’autorité des professeurs qui ne connaissent que le commandement et le « parrotage » (parrot : perroquet).
J’ai dit « asservissement » ? C’est bien une réflexion d’occidentale, les Thaïs ne se sentent pas asservis, et ils vous le diront à grands coups de « thaî ça veut dire libre ». Avec parfois, un éclair de lucidité vite contrôlée, réprimée. « Pourquoi tu ne te révoltes pas ? » je demande. Réponse fulgurante qui vous cloue au sol : « qui veut mourir ? »
Voilà tout est dit.
Donc deuil volontaire ou auto imposé ? Chagrin obligatoire ou comédie ?
Ça prend des années pour savoir ce que pense un Thaï. Ça prend de l’énergie, du temps à en perdre patience, et puis lorsqu’on croit entrevoir quelque chose, eh bien on tombe dans le vide. Résultat d’années de servitude aux puissants, sans se poser de question.
« Des millions de gens sous le joug d’un seul sont fascinés et comme ensorcelés par le seul nom d’un seul qu’ils craignent alors qu’ils ne devraient pas le redouter puisqu’il est seul et qu’ils sont des millions » (La Boétie)
Sauf qu’en Thaïlande le tyran tient l’armée sous sa coupe.
Servitude et fascination des puissants. A quoi bon penser ? Combien de fois on m’a dit en Thaïlande : คุณคิดมากเกินไป « Tu penses trop ». Tout est dit. Ne pas penser, pour ne pas souffrir. Ne pas penser pour ne pas être tenté de se poser des questions. Faire le vide. C’est tellement bouddhiste après tout. Et vivre l’instant présent. Ça aussi c’est bouddhiste et new age en même temps. Alors l’instant présent, c’est picoler tout de suite avant de mourir sur la route demain
Je discutais un jour avec un prof, qui avait étudié à l’université, il était même allé une année en Australie. Il m’asséna une réalité avec une telle certitude (car réalité fausse), que je lui demandais d’étayer sa réponse. Il me répondit naïvement : « je sais, c’est tout ». « Mais pourquoi ? » j’insistais. Il ne comprenait pas mon insistance et comme une évidence, conclut : « Je sais parceque je suis prof ».
ฉันรู้เพราะฉันเป็นครู
Pas d’autre argument que ce péremptoire, "je sais parceque je suis « teacher ». Sa réponse était fausse, mais je n’ai pas voulu l’humilier et je n’ai pas chercher à le convaincre du contraire.
Telle est la Thaïlande, un pays qu fascine touristes, expats, retraités.
Mais revenons au deuil et au chagrin.
En privé je reçois des messages : on fait semblant, car on a peur d’être dénoncé par un voisin, un ami, un passant, un inconnu. La junte pousse à la dénonciation.
Alors le noir est plus noir que noir. Le deuil plus deuil que le deuil. Et c’est à celui qui montrera le plus de chagrin.
Une sorte d’émulation. Les autres nous regardent !
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