En relisant mon journal « une année en Asie » intitulé « la clé sous le paillasson », je craignais retrouver les écrits d’une touriste bobo peu intéressée par la réalité des pays traversés. Avec soulagement, je m’aperçois, à la relecture, 40 années plus tard, que ce n’est pas tout à fait ça.
Pour ne pas retranscrire un texte destiné à parents et amis – donc politiquement correct – je vais choisir quelques extraits seulement, laissant de côté les descriptions des coutumes et des rites : Barong, Kecak, Legong Kraton, rites funéraires et puis celles de temples Balinais et du Borobudur à Java.
« Le long de la route qui mène de Jogja à Borobudur, processions de chars à bœufs débordant de canne à sucre, paysans, outils sur l’épaule en route vers la rizière, mômes partageant leurs jeux avec des buffles. Java, terre de feu, île aux centaines de volcans, à la terre noire si fertile qu’on dit en plaisantant que « si on jetait une pipe sur le sol, elle se transformerait vite en touffe de bruyère » … Borobudur un des plus grands temples du monde, face au volcan Mérapi. »
Je décris avec étonnement fresques, bas-reliefs, clochetons, stupas, sculptures et terrasses jusqu’au grand Bouddha central incarnation de l’absolu. Puis une journée au zoo (récompense aux enfants après l’épreuve du Borobudur). Les orangs outans qui nous considèrent avec mépris, le varan de Komodo, et puis des retrouvailles avec les DEMOUVEAUX, responsables de l’Alliance Française à Semarang.
« Semarang port endormi, ville sillonnée par des militaires en uniforme, ces entrepreneurs d’industrie, ces seigneurs de la guerre qui s’octroient tous les droits y compris ceux de perquisitionner et éventuellement de tuer. Mieux vaut ne pas chatouiller leur susceptibilité à fleur de peau, car ils ont la gâchette facile. Des milliers de Chinois furent massacrés dans les années 1965, victimes de la chasse aux communistes. Des centaines de milliers de morts, autant de prisonniers politiques qui croupissent toujours dans les prisons en attendant un hypothétique jugement. Epoque sanglante, véritable AMOK, dont les Javanais parlent encore à voix basse et en frissonnant 15 ans plus tard. Aujourd’hui, les Indonésiens haïssent ouvertement les Chinois qu’ils accusent de tenir les rênes du pouvoir économique, du commerce, des banques. Un étudiant en médecine de Jogja me confie : « Notre problème numéro 1, ce sont les Chinois, ils sont pires que vos juifs et arabes réunis » (sic). En clair, dans son esprit, les Chinois sont la cause de tous les problèmes du pays. « Qu’on les extermine tous et ça ira mieux : plus de chômage, de misère, de surpeuplement » !!
Les Indonésiens nazis comme en Malaisie en 1969, comme en Thaïlande en 1972-1973. Massacres par des militaires, non seulement de Chinois mais aussi d’étudiants qui se réclamaient du communisme de Mao.
« Sur le port ensablé de Semarang où n’accostent plus les cargos, se balancent des bateaux Buggis, voiliers géants mouillant dans les petits ports de Sulawesi, de Flores sillonnant la mer de Java et le détroit de Makassar, transportant épices, bois précieux dont ont extrait les parfums : musc, santal, ylang-ylang des Moluques, mais s’adonnant également à d’autres trafics. Les marins ont des airs de pirates sous les turbans emprisonnant leur chevelure, et leur guenilles délavées. Ne leur manque que bandeau sur l’œil et sabre à la ceinture pour ressembler à de véritables corsaires des mers du sud.
Autant d’images et d’évocations qui font rêver Pierre, qui se voit déjà à la barre de son petit voilier, maison vendue, études des enfants terminées, et nous, plus tellement jeunes, mais libérés de tout !!!
Il crachine, tout est sale et gris sous la pluie froide. Odeurs de moisi, cris des mouettes, saleté repoussante de la ville, je grelotte, plus de 40 de fièvre, blessure infectée qui ne cicatrise pas, injections d’antibiotique à l’hôpital de Semarang. Demain, Jakarta. »
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