A CHAQUE MEDAILLE SON REVERS !
Habiter si loin de tout est un handicap autant qu’une protection, et chaque avancée, comme la médaille, a son revers ! La proximité d’une ville, aussi petite que celle de Mae Sariang, changerait sûrement les habitudes des Karen. Tentation du plastique ? Des produits made in China ? Des vêtements fabriqués en usine ? Et dans ces conditions les femmes Karen continueraient-elles de tisser les sublimes cotons qui habillent aussi bien les hommes que les femmes ?
Baan Huay Mouang vit quasiment en autarcie et suit naturellement, parce qu’elle n’a pas d’autres choix, les conseils royaux de « l’économie suffisante », une forme d’économie critiquée par des professeurs universitaires, des anthropologues, auteurs d’un ouvrage passionnant, très culoté dans le contexte actuel : « SAYING THE UNSAYABLE » (« Dire l’indicible », tout un programme !), intellectuels qui voient dans « l’économie de suffisance » prônée par le roi « un outil de « disciplination » des populations, afin de maintenir un ordre social et une hiérarchie millénaire, un blocage à l'ouverture sur le monde et à la démocratisation et surtout une incompréhension totale de la vie rurale. Et bien sûr, des conseils de nantis aux pauvres » ! * (on se souvient de Prayut disant à ceux qui avaient envie de s'acheter une voiture : "vous n'avez même pas fini de payer vos crédits, et puis il y a déjà beaucoup trop de circulation. (Sous-entendu : restez sur vos buffles dans vos campagnes, laissez les voitures aux citadins)
Consommer uniquement ce que vous produisez ! Et s les fermiers ne vendaient pas leur riz, leur soja, leur choux s’ils gardaient tout pour eux ? Car ils produisent, eux !
Les jeunes des montagnes ont des aspirations. L’aspiration à l’éducation. Mais quand ils ont « consommé ce qu’ils produisaient » il ne reste plus grand-chose à vendre pour « toucher » de l’argent, argent nécessaire pour payer uniformes, transports, cantines, logement dans les villes où est dispensé le savoir. Pour eux l’université est quasiment impossible, car, aucune aide de l’état et pourtant je peux attester que les Karen ont très souvent une intelligence plus vive que leur équivalent thaï. Ils parlent déjà deux langues, leur langue natale et le thaï.
L’éducation pourrait changer leur vie s’ils avaient accès à l’université, celle qui produit médecins, ingénieurs, professeurs. Si la jeune Roung Thi Wa étudie dans une université Rajabhat (l’équivalent des IUFM français) de Lamphun à 8 heures de son village, c’est parce que son frère, pas encore marié, travaille sur des chantiers de construction à Chiang Mai et lui envoie de l’argent. Pas de bourse d’état pour aider les plus intelligents. Seules des ONG et des missionnaires aident parfois ces jeunes Karen.
Pas d’électricité à Baan Houay Mouang ; ici et là quelques panneaux solaires. L’électrification, prévue par Yingluck Shinawattra et en train de se mettre en place aux premiers kilomètres de la route de jungle et les habitants l’attendent d’ici quelques mois.
Pas d’eau courante non plus, les hommes vont à la source un peu au-dessus du village, et la transporte dans des bambous, sur leur dos.
Des coutumes intactes, pas polluées par l’esprit mercantile des villes. Pas de tentations inutiles jetées aux regards des jeunes. Les Karen Pwo ne s’intéressent pas à la politique, mais le jour où une télévision s’introduira dans leur culture, le jour où l’antenne viendra percer le toit de feuilles de leur maison de bambou, nul doute qu’ils deviendront vite adeptes, « addicts » des pires produits de consommation thaïe : la connerie, la publicité, la vulgarité d’âme des scénaristes de soap opéra… Dans la foulée, ils feront sans doute connaissance avec le maître du pays, le premier ministre Prayut Chan Ocha ? Après tout, chaque avancée, comme les médailles, a son revers.
* Je me propose dans les jours à venir de traduire tout ou partie de ce livre, il n’a pas son équivalent en français. SAYNG THE UNSAYABLE (Monarchy and Democracy in Thaïland) dans toutes les bonnes librairies de Thaïlande : 795 baht)
Tout est dit. Et bien dit :-)
Rédigé par : Jean-Claude Torelle | 02/10/2014 à 16:50