Parmi les sujets les plus délicats et les plus controversés : les migrants de Calais. Aussi risqué de l’éviter que d’en parler. Impossible cependant de prétendre à l’aveuglement lorsqu’on habite ce « 1er port de voyageurs » en trains et bateaux.
Ces migrants sont aussi visibles à Calais que le clocher au milieu d’un petit village alors pas question de détourner le regard.
Ils marchent toujours par groupes, rarement seul, ils n’ont pas de maison, vivent de la charité, dorment sous des abris de fortune ou squattent des maisons de braves gens partis rendre visite à leur famille. C’est le cas d’une voisine de mon père.
Ils viennent d’Ethiopie, de Somalie, d’Erythrée et autres pays d’Afrique ou du Moyen-Orient : Irak, Syrie. Il y a 20 ans on les appelait les Kosovars, à présent ils sont majoritairement africains. Ils se regroupent par pays et semblent se détester si l’on en croit les nombreuses rixes qui interviennent la nuit. Ils sillonnent la ville, accrochés à leur portable.
Me retrouvant parmi eux à la gare d’Hazebrouck où j’attendais un changement de train, j’ai tenté d’accrocher leur regard pour entamer une conversation. En vain (la plupart, ceux qui viennent d’Afrique de l’est, parlent anglais).
Ils n’ont qu’un désir : passer le Channel pour se rendre en Angleterre. Pourquoi ? parce qu’en Angleterre, contrairement à la France, on n’est pas obligé d’avoir de papiers sur soi (uniquement lorsqu’on quitte le pays).
J’avais rendez-vous avec une journaliste du Nord-Littoral pour une interview sur les problèmes politiques en Thaïlande (en complément d’une interview faite par téléphone le premier jour du couvre-feu).
Au journal on m’explique des « faits » : rixes, squats, rôle des « no borders », des bénévoles et exaspération des calaisiens en général.
Durant mon séjour dans le nord, le préfet a fait évacuer un des abris de la rue de Moscou (600 personnes dont 350 étaient de retour le lendemain matin).
Les femmes ont peur de sortir le soir. A la tombée de la nuit la ville est morte à l’exception des abords des bars de Calais-nord.
Très peu de ces migrants franchissent le Channel. Mais de nouveaux arrivent presque chaque jour grâce au réseau des passeurs. Et chaque arrivant est un passeur en puissance, car il a besoin d’argent.
Près de chez mon père, une maison, non pas ouvrière comme la plupart des maisons de ce quartier, mais plutôt bourgeoise avec sa porte d’entrée centrale et ses deux fenêtres de chaque côté ainsi que ses 2 étages…. La propriétaire s’est absentée quelques mois pour rendre visite à sa famille. Sa maison a été squattée. D’intérieur propret, la maison est devenue une horreur d’une puanteur atroce. J’y suis rentrée alors qu’un bénévole « tentait » de la vider des déchets dont elle était remplie à ras bord. Cette maison abritait un nombre hallucinant de squatteurs (dixit une autre personne de ma famille vivant juste à côté). Le bruit, les bagarres, les femmes d’autres ethnies (prostitution), les enfants… dans une saleté repoussante. La propriétaire ne reconnaît plus les lieux, tout a été arraché : lavabo, chauffe-eau, éléments de salle de bains, carrelage. Sali, souillé d’excréments, et, dirait-on avec une volonté délibérée. Les services sanitaires devront désinfecter, car épidémie de gale et autres joyeusetés.
Que faire ? Problème insoluble apparemment. On les chasse, ils reviennent. Dans les trains, les contrôleurs se contentent de les faire passer de première en seconde classe. Il y a quelques années, ils les faisaient descendre à la première gare ; je me souviens avoir payé le passage de deux de ces clandestins migrants qui ne voulaient pas être débarqués à Watten Eperlecques mais à Saint-Omer ! Aujourd’hui, laxisme.
Dead end. Cul de sac.
On est partagé entre humanisme - et – légalité.
Les bons sentiments amènent toujours de nouveaux arrivants. La loi les chasse et ne sachant qu’en faire, ils reviennent.
Et le problème dure depuis le conflit au Kosovo en 1999, époque où ces réfugiés s’étaient installés dans un centre de Sangatte dont ils ont été chassés…
Eternel retour.
En prenant un taxi à la gare du nord à Paris, je bavarde avec le chauffeur d’origine algérienne (c’est lui qui en parle tout de suite. Il me dit également qu’il est bac plus 5). Il évoque le problème des émigrés (son frère veut venir en France, il l’en dissuade « car il n’y a plus rien à faire ici » lui dit-il… Et je laisse la responsabilité de cette dernière phrase dans sa bouche : « le problème des émigrés, c’est la faute de Shengen. Il faut les faire sortir par où ils sont rentrés ».
Pour traiter des problèmes, il faut pouvoir les nommer. Une Europe passoire ne peut qu’alimenter les nationalismes et les replis sur soi. Et pire : la haine de l’autre.
Les pauvres calaisiens qui sont des calaisiens pauvres n’en peuvent plus mais.
un bénévole a déjà presque tout nettoyé
Le problème des migrants… Une gigantesque patate chaude que le monde nanti se refile d’un air dégoûté, du haut de la pyramide sociale pour arriver jusqu’au bas des faubourg de Calais ou de Ranong (sans passer par le XVIe arrondissement ou les bureaux du FMI bien sûr). Les bons sentiments cache notre impuissance à partager sans se priver. Les bourgeois de Calais paient encore de leur personne pendant que, loin du front, nous faisons discrètement la moue devant les dépêches d’agence…
Rédigé par : Jean-Claude Torelle | 08/07/2014 à 17:53